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this world
23 mars 2008

Le poing sensible

J’ai atteint le poing sensible, je le sais. Je l’attendais, je l’espérais et je l'ai pris de plein fouet, à en perdre haleine. Je frissonne. L’aube est là, elle pointe son nez sur les masses vertes qui défilent de par et d’autre de la glissière de sécurité. On devine une brume légère et stagnante, une nappe cotonneuse qui apporte un peu de fraîcheur dans ce mois d’août torride. Avachi sur la banquette avant, dans le petit salon circulaire au premier étage du bus, j’ai le regard figé sur la route. Tout est clair, à présent. Je suis « dans » la tournée. Sur la scène, hier, il s’est passé un truc. Un truc violent en moi, comme une jouissance venue de très loin. Plus rien n’existait. C’était sur « Partizan ». Les mots sortaient de ma bouche comme si je les sortais pour la première fois, vierges de toute salissure, purs comme le jour où je les ai écrits et assemblés. Ils avaient à nouveau du sens. Ma voix était puissante et rauque, plaintive et volumineuse, inaltérable et confiante. À cet instant, comme une évidence, je suis devenu une putain de rock star. C’est bien simple, à peine sorti de scène, j’ai avalé vite fait une «16 » avec Little qui n’arrêtait pas de me regarder, les yeux pétillants comme si j’étais rentré soudain dans la dimension des icônes – Eh oui, gars, ton pote vient de franchir le mur du son, yeahhh ! et j’ai fait un signe à Stef qui était déjà en train d’empiler les caisses dans le camion. « Va me chercher des filles ! » je lui ai lancé. Il m’a regardé un instant, le regard las, puis il a tourné les talons. Parti en mission… Des filles, y avait qu’à se baisser ce soir. Elles avaient été hypnotisées, témoins de mon éclosion au monde des artistes qui comptent dans ce métier. Cinq minutes après, je recevais ces chères et tendres dans un petit bureau au sous-sol de la salle. J’avais mon idée en tête, il fallait faire vite le car repartait dans une heure. Tant pis pour la collation. J’avais besoin de me nourrir de parfums féminins. J’étais encore survolté, la tension n’était pas retombée. J’avais l’impression de parler vite, de marcher vite, de vivre vite. Elles étaient trois, elles faisaient à peine majeures et tout ce que je voyais, c’était des cheveux emmêlés, des pommettes épuisées, des peaux lessivées autour d'yeux étincelants. Malgré les deux heures passées à m’écouter, elles avaient la fraîcheur de leur sortie d’adolescence. La rousse, Babette, je crois, m’attira tout de suite, elle avait les rondeurs et la sensualité d’une pêche. Ses copines, c’était Shynia, asiatique dévorée d’acné mais fine et athlétique et Sam – c’est quoi Sam, Samantha ? lui rétorquais-je avec un brin d’agressivité. « Oui Samantha, me répondit-elle en roulant des yeux de biche », alors que je la dévisageais des pieds à la tête comme si j’émettais un vieux doute sur la qualité de la marchandise. Elles ont marqué un temps, se regardant les unes les autres, comme si la décision qu’elles allaient prendre allaient faire basculer leur vie, dans un sens ou dans l’autre. Je dus faire mon sourire désarmant parce que Shynia dit oui, un oui qui voulait dire advienne que pourra…
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